Des jeunes de 1975 aux jeunes de 2025 : des progrès sous-estimés, mais le déclassement n’est pas juste un sentiment…En 2024, trois Français sur quatre estiment que « c’était mieux avant ». Cette nostalgie ne touche pas que les personnes âgées : deux jeunes de moins de 35 ans sur trois partagent ce diagnostic. Mais est-ce bien le cas ? Dans la France d’aujourd’hui, un jeune de 30 ans vit-il moins bien qu’un jeune de 30 ans au milieu des années 1970 ? Pour objectiver la situation des jeunes, à cinquante ans d’intervalle, cette note propose une compilation de données couvrant les grands domaines du niveau et de la qualité de vie : diplômes, emploi, revenus et prélèvements, patrimoine et logement, conditions de travail, famille et temps libre. Qu’en ressort-il ?
C’était mieux avant, vraiment ? Aujourd’hui, Nicolas et Manon qui paient alors que leurs parents vivaient un âge d’or, celui des boomers ?
Le débat public donne le sentiment d’un déclassement généralisé des jeunes actifs, ceux qui ont 30 ans et travaillent aujourd’hui, par rapport à la génération d’après-guerre, qui avait la trentaine dans les années 1970. Parfois sans chiffres précis, souvent en ne soulignant que certaines dimensions (salaires, prestations sociales reçues, impôts et cotisations sociales versés) du niveau ou de la qualité de vie.
Sans prétendre à l’exhaustivité, sans sous-estimer non plus la diversité de situations des jeunes, qui ne sont pas un bloc (pas plus que les retraités), cette note vise à éclairer de la manière la plus précise et la plus large possible un débat profond et légitime.
Que voit-on réellement ? Dans beaucoup de domaines, les progrès sont incontestables entre la décennie 1970 et les années 2020.
Même en tenant compte de l’inflation, le salaire d’un jeune en premier emploi est actuellement plus de 10 % supérieur à celui d’un jeune salarié de 1975. Cela traduit notamment un effort général de qualification. Les jeunes d’aujourd’hui sont nettement plus diplômés que leurs aînés : plus d’un jeune sur deux (25-34 ans) est diplômé de l’enseignement supérieur, contre un sur cinq en 1975.
Mesurer un progrès ne passe pas seulement par les revenus ;
Les droits et les modes de vie sont souvent négligés dans le discours : ne manquons pas de relever que le temps libre, hors activités professionnelles et domestiques – a augmenté d’une heure vingt par jour entre 1974. Des jeunes de 1975 aux jeunes de 2025 : des progrès sous-estimés.
Mais le déclassement n’est pas juste un sentiment…
Et 2010 ! Et en parlant de Nicolas et Manon, on oubli de signaler que l’écart salarial entre femmes et hommes a été divisé par deux entre le début des années 1980 et aujourd’hui. N’oublions pas non plus qu’une femme de 30 ans en 1975 n’avait pas accès à la contraception au début de sa vingtaine ni l’autorisation de travailler sans le consentement de son mari.
Mais d’autres aspects montrent bien que le déclassement n’est pas juste un sentiment.
Les racines sont profondes. Il est d’abord lié à un recul des jeunes dans la hiérarchie des âges. Les moins de 30 ans sont moins nombreux qu’en 1975, et ne représentent plus qu’un tiers de la population (contre la moitié en. 1975). Surtout, leurs salaires nets ont augmenté moins vite que ceux des autres actifs ; leur revenu moyen est aujourd’hui inférieur à celui des 50-54 ans, il était supérieur il y a quarante ans. Et il apparaît
clairement que c’est entre 40 et 60 ans (un peu au-delà des jeunes actifs) que le poids du financement de la protection sociale pour chaque individu s’est alourdi depuis la fin des années 1970.
Trois domaines surtout illustrent et alimentent le malaise des jeunes actifs d’aujourd’hui : le patrimoine, le logement et le diplôme.
En cinquante ans, le patrimoine s’est largement concentré dans les mains des plus âgés : en 1986, le patrimoine médian des 30-39 ans était supérieur à celui des plus de 70 ans, il est aujourd’hui quatre fois inférieur.
Cette concentration n’est pas sans lien avec le décrochage des jeunes dans l’accès au logement. Pour acquérir le même logement, avec le même taux d’effort et le même apport, là où il fallait dix ans de remboursement en 1975, il en faut vingt-trois en 2025… Et cet accès au logement est massivement plus inégalitaire aujourd’hui : dans le quart des jeunes (25-45 ans) les plus pauvres, seuls 17 % sont désormais propriétaires (contre 35 % en 1973) ; dans le quart des jeunes les plus riches, 67 % sont propriétaires
(contre 43 % en 1973).
Si le niveau de diplôme moyen a augmenté, le niveau d’emploi obtenu n’a pas suivi :
Les formes d’emploi précaires se sont développées, notamment pour les jeunes femmes. Ce décalage croissant diplôme / emploi est frappant quand on étudie le niveau bac : en 2021, 36 % des diplômés du baccalauréat en emploi occupaient un poste d’ouvrier ou un emploi peu qualifié, contre 11 % seulement au début des années 1980. La valeur professionnelle du diplôme s’est dégradée au fil du temps : une bonne part du
malaise des jeunes réside là.
Trois quarts des Français considèrent que c’était mieux avant y compris 67 % des moins de 35 ans.
Quand on demande toutefois aux plus jeunes de regarder l’avenir qui est devant eux, et non un passé qu’ils n’ont pas connu, l’optimisme est bien plus grand, supérieur à celui de toutes les classes d’âge :
56 % des 18-24 ans pensent qu’ils seront plus heureux en 2035 qu’aujourd’hui, contre 20 % pour les Français en moyenne. Et si c’était mieux demain ?
- LE 21 OCTOBRE 2025
CLÉMENT BEAUNE Haut-commissaire à la Stratégie et au Plan
JEUNESSE D’HIER ET D’AUJOURD’HUI :
