Agriculture : 5 mesures du gouvernement passées au crible

Agriculture : 5 mesures du gouvernement passées au crible

Pour répondre à la crise agricole, le Premier ministre a annoncé un « choc de simplification ». Les mesures dans les tuyaux sont surtout bénéfiques à l’agro-industrie et vont abaisser la protection de l’environnement.

C’est l’une des premières réponses apportées par Gabriel Attal à la colère agricole. Dès le 26 janvier, une botte de paille lui tenant lieu de pupitre dans une ferme de Haute-Garonne, le Premier ministre annonçait un « choc de simplification ». Un mot qui est revenu régulièrement dans les promesses et annonces depuis un mois, puis dans les travées du Salon de l’agriculture.

Mais l’essentiel de ces mesures va engendrer « peu de simplifications pour les agriculteurs, et risque de faire reculer la protection de l’environnement », craint Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement. Avec des spécialistes, Reporterre fait le point sur les différentes mesures.

1 — L’élevage industriel favorisé

À partir d’une certaine taille, un élevage industriel est tenu, pour être construit ou agrandi, de passer par une évaluation environnementale. Le seuil à partir duquel cette procédure est nécessaire va être relevé. Alors qu’aujourd’hui, les élevages de volaille doivent passer systématiquement par cette évaluation dès 40 000 emplacements, le seuil est plus que doublé, à 85 000 places. La limite passe de 2 000 à 3 000 pour les porcs et de 750 à 900 pour les truies. En dessous de ces chiffres, les élevages seront soumis au « cas par cas » : c’est le préfet qui décidera si l’élevage doit être soumis à la procédure d’autorisation environnementale, ou pas. « Il ne la demande quasiment jamais », affirme Romain Écorchard, juriste à France Nature environnement (##E). « L’augmentation est énorme, les seuils étaient déjà pourtant très hauts. »

« C’est la prime à l’agrandissement »

Le projet de décret est en consultation jusqu’au 17 mars, le gouvernement promet sa publication en avril. Selon lui, il ne s’agit que de la correction d’une « surtransposition » afin d’opérer une « harmonisation » avec les seuils européens. « C’est la prime à l’agrandissement », conteste Cécile Claveirole, chargée de mission agriculture chez ##E. La concentration des déjections d’autant d’animaux « pollue les captages d’eau à l’azote et au phosphore », rappelle-t-elle. D’où, notamment, le phénomène des algues vertes en Bretagne.

Par ailleurs, il n’est pas certain que ce décret facilitera la vie des éleveurs, selon Arnaud Gossement, pour qui « on a la certitude que les contentieux vont augmenter ». Car les associations risquent de contester les décisions des préfets. « La plupart du temps on gagne », rappelle Romain Écorchard à ##E. Dans ce cas-là, l’éleveur doit finalement en passer par l’évaluation environnementale que le gouvernement voulait lui épargner, en prime d’un passage au tribunal administratif. « Cela lui aura ajouté une procédure », déplore Me Gossement.

2 — Irrigation à tout-va

La promesse a été réitérée par Macron lors de l’inauguration du Salon de l’agriculture. Alimentation et agriculture vont être reconnues « d’intérêt général majeur » dans le projet de loi d’orientation agricole. Il doit être présenté en conseil des ministres le 20 mars. Au-delà de l’affirmation symbolique, cela pourrait avoir des conséquences concrètes en matière d’accès à l’eau.

« Cela m’apparaît comme la mesure qui aura le plus d’impact », estime Dorian Guinard, maître de conférence en droit public à l’université de Grenoble. « Cette notion d’intérêt majeur pourra être invoquée en cas de sécheresse, si on essaye de mettre des restrictions d’usage à l’agriculture. Elle pourra aussi être utilisée pour les autorisations de prélèvement, lors des renégociations des Sdage [schémas de gestion de l’eau], et éventuellement pour faciliter la construction des mégabassines. »

Alimentation et agriculture vont être reconnues « d’intérêt général majeur », ce qui pourrait faciliter la construction des mégabassines. © Edouard Richard / AFP

Car la plupart du temps, les projets de mégabassines doivent obtenir une autorisation de destruction d’espèces protégées. Pour ce faire, il faut remplir trois conditions, et avant tout montrer qu’il y a une « raison impérative d’intérêt public majeur ». Élever l’agriculture au rang « d’intérêt général majeur »permettrait de remplir facilement la première condition. La ministre déléguée à l’agriculture Agnès Pannier-Runacher a d’ailleurs confirmé que l’intention était de « faciliter […] les procédures pour faire des ouvrages de stockage d’eau ».

Dorian Guinard estime la manœuvre juridiquement bancale« La notion de“raison impérative d’intérêt public majeur” est définie dans le droit européen, on ne peut pas la modifier par une loi française », dit-il. «  In fine, ce sera donc aux juges de trancher. » Une « simplification » qui va surtout créer, encore une fois, plus de contentieux, déplore le docteur en droit.

« Cela renchérit le coût de l’accès à la justice »

En cas de recours contre des mégabassines, le gouvernement veut aussi accélérer la procédure. Les astuces sont identiques à celles déjà mises en place pour les projets éoliens. Un décret, dont la publication est promise en avril, va supprimer un échelon juridique : les dossiers iront directement en cour administrative d’appel, sautant l’échelon du tribunal administratif. « On a déjà testé, cela donne des décisions de moins bonne qualité », observe Romain Écorchard. « Par ailleurs, cela renchérit le coût de l’accès à la justice, car si on veut faire appel, on va en Conseil d’État, où il y a un monopole des avocats [ils coûtent donc plus cher]. »

Le gouvernement veut aussi que les décisions soient rendues en dix mois — « cela ne peut pas être respecté, les juridictions ont les moyens qu’elles ont », note Sébastien Mabile, avocat en droit de l’environnement. Cette accélération tient surtout du signal politique : juger plus vite ne changera rien à la légalité ou non des mégabassines. Les projets « qui sont illégaux seront déclarés comme tels », résume-t-il. Et cela ne mettra pas forcément de bâtons dans les roues aux associations, ajoute Romain Écorchard : « On est organisés pour écrire rapidement nos mémoires pour le tribunal, ce qui n’est pas forcément le cas de nos adversaires. » 

3 — Les recours contre les installations agricoles limités

Là encore, c’est un décret que le gouvernement a promis de publier en avril. Il prévoit de passer de quatre à deux mois le délai permettant de formuler un recours contre une installation agricole. Une façon de mettre fin à un « régime d’exception », assure le gouvernement : en droit commun, le délai laissé pour formuler un recours est habituellement de deux mois. « Ce n’est pas un régime d’exception », conteste Romain Écorchard. « Quatre mois est le délai appliqué à tous les projets soumis à autorisation, que ce soit une route, une zone d’activité ou une construction agricole. » C’est en passant le délai à deux mois pour l’agriculture que le gouvernement crée une exception, estime le juriste.

« Jusqu’en 2017, le délai était d’un an. Puis il a été réduit à quatre mois, et enfin deux mois », rappelle Sébastien Mabile. « La simplification est le cache-sexe d’une dérégulation. On limite le droit d’accès à la justice en matière environnementale. » Une façon de faire qui a plutôt tendance à compliquer les choses, selon Romain Écorchard : « On introduit des procédures dérogatoires en éolien, en photovoltaïque, en urbanisme, maintenant en agriculture. Cela devient illisible, il y a des exceptions partout. C’est hallucinant d’appeler cela de la simplification ! »

4 — Les haies moins protégées

C’est l’un des sujets préférés d’Arnaud Rousseau, président de la ##SEA. Dès avant la crise agricole, lors de sa conférence de presse de rentrée le 10 janvier, il évoquait le problème des « quatorze réglementations » régissant les haies. L’exemple a été élevé en symbole du trop-plein de normes environnementales. Message passé auprès du gouvernement, puisque fin janvier, lors de ses premières annonces en réponse à la colère des agriculteurs, le Premier ministre Gabriel Attal promettait de tout rassembler en une seule réglementation.

© Philippe Turpin / AFP

En fait, plutôt que de se superposer, les règles à respecter varient selon les parcelles agricoles. Si elles sont en site classé, en zone Natura 2000, en espace boisé classé, ou que les haies sont protégées dans le plan local d’urbanisme, les règles diffèrent. Pourtant, « on fait le constat que les haies sont mal protégées », déplore Romain Écorchard. Un rapport officielcomptabilise 23 500 km de haies disparues chaque année entre 2017 et 2021. « Faire une seule règle si cela n’aboutit pas à une régression, je ne suis pas contre », poursuit le juriste. « En revanche, je ne sais pas comment ils vont faire car les règles sur les haies dépendent de corpus très différents, de la législation sur l’urbanisme, sur les sites classés, etc. »

5 — Les zones humides ignorées

Cachez ces zones humides que je ne saurais voir. Le gouvernement a mis en pause la cartographie des zones humides, réclamée par l’Union européenne et en particulier la politique agricole commune. Il semble ainsi accéder à une revendication de la ##SEA, qui craint que de nombreuses zones parcelles agricoles soient classées comme zones humides, ce qui pourrait obliger les agriculteurs à les protéger. Par exemple, ils ne pourraient plus les drainer afin de faciliter leur culture. « Pourtant, on en a absolument besoin », alerte Cécile Claveirole. En plus d’accueillir une biodiversité particulière, « ce sont des puits de carbone et des zones tampon, elles régulent la circulation de l’eau ».

« On a régressé au niveau démocratique »

« Le mot biodiversité n’est pas cité une seule fois dans le dossier du gouvernement sur les mesures de réponse à la crise agricole, ça me laisse pantois », se désespère Dorian Guinard. Le gouvernement a, comme la ##SEA, préféré opposer préservation de l’environnement et agriculture. Un choix qui s’est aussi reflété dans la méthode. Les soixante-deux mesures de réponse à la crise agricole prises par le gouvernement sont « le résultat d’une discussion bilatérale. Les lobbyistes agricoles ont fait leur liste de courses au gouvernement », estime Romain Écorchard. « On raye quinze ans de discussions selon la méthode Grenelle, qui consistait, pour les mesures environnementales, à réunir tout le monde autour de la table. Puis le gouvernement tranchait », se souvient-il. « On a régressé au niveau démocratique. » Le gouvernement veut-il rattraper le coup  ? Gabriel Attal a proposé aux associations environnementales de les rencontrer, la semaine prochaine, après le Salon de l’agriculture.

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